Festival des Langues 2025 – Linguisteries. Trésor des Locuteurs et Locutrices de Paris 8


Festival des Langues. La Troisième. Cette nouvelle édition du Festival des Langues de l’UFR Langues et Cultures Étrangères et de l’université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis s’inscrit dans un souffle double : à rebours du fantasme de l’accomplissement terminologique des IA, qui pourraient tout dire et tout traduire en un clic, il fait le pari des linguisteries – selon une formule lacanienne – : celui de l’excès d’un savoir insu qui affleure dans la parole, d’une créativité installée dans le temps long de la sédimentation et de la transmission de cet insu par la langue, sans cesse réinventée par les subjectivités parlantes au présent de leur parole. C’est d’abord cet excès créatif de l’insu porté dans les langues et par la diversité des locuteurs et locutrices des quelques 180 langues parlées en Seine-Saint-Denis, que le Festival vient valoriser – il est ce qui résiste à la croyance dans la traduction simultanée des IA d’une piste audio à l’autre, alimentant la fiction de l’institution du même à l’infini, par l’entremise d’une langue commune dont les concepts, évidés d’historicité, seraient transposables sans autre médiation que grammaticale, alphabétique ou phonique d’une langue à l’autre, éliminant enfin ce qui, dans chaque langue, spécifie le rapport politique et affectif au monde sédimenté par l’histoire des institutions sociales, comprises au sens le plus lâche possible, et par l’investissement subjectif des voix qui les font exister.

 

La seconde inspiration de cette troisième édition du Festival, c’est celle du Trésor Poétique Municipal et Mondial d’Aubervilliers, constitué par les Souffleurs d’Aubervilliers – Commando Poétique, à savoir « une épopée ethnopoétique, un voyage autour du monde dans Aubervilliers à la recherche des paroles poétiques dormantes issues de ses communautés linguistiques », « conservées dans un Grand Livre, puis destinées à danser dans la ville »[1], des poésies polyglottes et polyphoniques traduites vers le français en partie par des étudiants et étudiantes de Paris 8 depuis septembre 2024. Par les langues et la danse, c’est l’insu qui se dévoile, sur lequel se tiennent les expériences des citoyennetés contemporaines, dans l’enchevêtrement, le (mé)tissage des langues passerelles, administratives, d’héritage, maternelles, d’adoption, où le partage entre les « eux » et les « nous » intéressés et contingents s’épuise. La reconnaissance de la médiation des langues, et de ses effets dans les manières singulières de se rapporter au monde, donne à penser que la reconduction à l’infini d’une même langue, celle d’un management supposément mondialisé, achoppe ici, dans les langues parlées, adressées, dans les expériences sensibles et politiques qu’elles soutiennent : à titre d’exemple, si les interprétations nationales de la catégorie État, Staat, Stato, Estado varient sensiblement, la compréhension des citoyennetés actuelles par le plurilinguisme fait faire un pas de plus : en Soninké, la catégorie État n’existe pas, comme me l’a indiqué une étudiante récemment, ouvrant l’espace vertigineux de l’infinité des expériences différenciées du monde assurées, partout, par l’institutionnalité du langage. En ouvrant un temps de réflexivité sur les langues, c’est un espace de métaphorisation critique de soi et des communautés par les langues, où l’on apprend à se parler soi dans son rapport à la langue et aux langues, que continue d’instituer le Festival des Langues de Paris 8, lieu d’exploration, d’énonciation, d’élaboration de ce qui ne tient pas dans les mots d’un jargon managérial autoréférentiel, qui parle pour lui, épris de globalisation, dont la grammaire se veut drapée d’essence. Le Festival est, pour cette raison, un lieu où s’élaborent des pratiques, toujours en mouvement, qui apprennent à parler et à penser l’altérité et l’hospitalité, à sortir de soi.

 

Les 68 activités programmées pour ces journées disent la vitalité d’une UFR et d’une université attentive aux enjeux du contemporain et à la valorisation des voix et des trajectoires de ses étudiants et étudiantes : le Prix Littéraire du Festival des Langues, plurilingue, sera l’occasion de valoriser la créativité poétique des étudiants, de les interpeler encore, par la poésie, aux enjeux de la transition écologique avec les Souffleurs d’Aubervilliers à l’occasion d’une « Manufacture de papier combat Corsaire », de les sensibiliser aux innovations conceptuelles et critiques élaborées sur d’autres territoires – c’est l’ambition, par exemple, de l’atelier sur l’auteure et intellectuelle chicana Gloria Anzaldúa –, aux expériences sensibles des migrations et des exils, de leur faire découvrir, enfin, des objets insoupçonnés et d’ouvrir, ce faisant, les mondes de celles et ceux qui investiront cet espace commun.

 

Cette troisième édition du Festival des Langues, où les langues seront dansées, discutées, partagées, vient valoriser les savoirs scientifiques et les pratiques pédagogiques de la communauté de Paris 8 autour de l’UFR Langues et Cultures Étrangères, avec des partenariats nombreux : avec la Bibliothèque Universitaire d’abord, qui s’associe au Festival des Langues avec sa Semaine des Langues, du 10 au 19 mars 2025. Le Festival est associé à la Saison Brésil de Paris 8, dans le cadre de l’année France-Brésil, et propose diverses activités en lien avec les langues et les cultures du Brésil, dans un partenariat avec le Service des Relations et de la Coopération Internationale : un colloque sur les migrations au Brésil, des activités sur l’allemand parlé au Brésil, une sensibilisation aux chants et aux danses afro-brésiliennes, « Cantar, batucar, dançar », entre autres. Il accueillera pour la première fois des étudiants canariens de l’alliance européenne ERUA dont Paris 8 est membre fondateur, avec le soutien de l’alliance et du SeRCI. Il s’associe également au SCUIO-IP de l’université et à divers départements de l’établissement, en particulier avec les équipes du département de Linguistique des Langues des Signes et de l’UFR Sciences du Langage, du département de psychanalyse, de lettres. Il est encore un temps significatif de médiation scientifique avec et pour la société : il est ouvert aux publics extérieurs, en particulier aux publics des Médiathèques de Plaine Commune, à l’occasion, entre autres, d’un partenariat fécond avec le festival de contes Histoires Communes, et accueillera, comme c’est son habitude, des publics lycéens et des acteurs de l’enseignement des langues du secondaire et du Rectorat de Créteil. Il est enfin un temps de valorisation et de diffusion de la recherche scientifique des laboratoires de la composante, sur lesquels il s’appuie pour mettre en avant les recherches doctorales, les projets de recherche en cours, nationaux et internationaux, comme le projet Eximus – Musiques en Exil financé par la Fundação para a Ciência e a Tecnologia portugaise, et les partenariats au long terme qui soutiennent nos formations et la défense du plurilinguisme sur le territoire et dans l’université française : l’Institut Ramon Llull et l’Instituto Camões.

 

Soucieux des enjeux fondamentaux liés au plurilinguisme, le Festival des Langues 2025 vient rappeler la vitalité d’une composante dont les savoirs et pratiques sont centraux dans l’appréhension des citoyennetés contemporaines et actuelles, parce qu’elles se tiennent sur la médiation qui seule rend possible l’interprétation, les langues ; et met en scène ce qu’à Paris 8, réussir veut dire – être reconnu acteur et actrice des savoirs et de la recherche dans le mouvement des paroles échangées par l’exercice de la critique créative, qui ne se chiffre ni ne s’indique, mais s’expérimente et s’éprouve.

 

Brice Chamouleau,

directeur de l’UFR Langues et Cultures Étrangères

 

 

Programme du Festival des Langues 2025

 

 

[1] https://archives.aubervilliers.fr/Le-Tresor-poetique-municipal-mondial-d-Aubervilliers